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Université SORBONNE nouvelle Paris 3




 


Le découvrement infini

Dynamiques du dévoilement par l'écriture

 

..............Le 8 et le 9 octobre, à la Maison de la Recherche, a eu lieu le colloque International Le découvrement infini. Dynamiques du dévoilement par l'écriture, organisé par Jean-Charles Vegliante et Denis Ferraris au sein des initiatives du centre CIRCE (Centre Interdisciplinaire de Recherche sur la Culture des Echanges) et Lecemo (Les Cultures de l’Europe Méditerrranéenne Occidentale face aux problèmes de la modernité).

Accueillis et introduits par Jean-Charles Vegliante, Marie-Christine Lemardeley, Présidente de l’Université Paris3 Sorbonne Nouvelle et Pierre Civil, Vice-président du Conseil Scientifique et de la Recherche, ont inauguré le colloque en remerciant les organisateurs pour la belle et importante initiative, ils ont souhaité qu’elle puisse être suivie par de nouveaux projets de ce genre.

Les différentes séances du colloque ont été caractérisées par l’alternance entre des communications centrées sur l’analyse pointue de la problématique du découvrement dans l’œuvre de certains auteurs et des communications qui ont privilégié un point de vue plus transversal et diachronique. La première séance a mis en lumière, avant tout – dans l’exposé de Giulio Ferroni – le rapport au dévoilement de la figure féminine dans la littérature des Classiques à la Renaissance, en passant par les textes exemplaires de Boccace (Décaméron), de l’Arioste (Le Roland furieux) et de Tasse (Jérusalem délivrée), mais aussi par les comédies de Shakespeare. Le fil rouge commun à ces textes a été celui d’un découvrement qui se décline en travestissement, jeu de rôle, équivoque à l’issue comique ou parfois tragique et qui pose le problème de la perception de la vérité et du rapport entre la chose ou la personne cachée et sa révélation. La thématique du découvrement pose aussi, comme l’a montré Rinaldo Rinaldi, la question du voile dans toute la complexité de sa charge de significations. En fait, si le voile cache l’identité et permet à la personne voilée de voir sans être vue, de l’autre côté il fait coïncider la question du « voir » avec celle du « connaître » ; le dévoilement devient alors le moment de l’épiphanie de la vision. La littérature italienne est riche d’exemples de ce genre : le Nocturne de D’Annunzio, texte du « voile » et du voir sans être vu, ou le poème Brouillard de Pascoli, où le brouillard du titre est le voile qui répare et protège du monde extérieur. La problématique du découvrement peut devenir aussi un outil herméneutique, comme l’a bien montré Walter Geerts : en témoigne l’œuvre de Simona Vinci qui se propose sous la forme d’une découverte infinie du tragique quotidien.

La deuxième séance à mis en valeur d’autres aspects du dévoilement littéraire. En effet, dans un auteur tel que Antonio Tabucchi, comme l’a montré Pascal Gabellone, l’écriture est conçue comme dévoilement d’une vérité et comme perpétuel re-voilement des choses, des événements et des êtres par le biais du rapport, irrémédiablement opaque, du sujet à son propre passé et au Temps. L’exemple de Carlo Emilio Gadda présenté par Denis Ferraris montre, d’autre part, de quelle manière l’écriture narrative devient l’outil privilégié pour dire « l’inaccessible vérité des rapports entre un sujet et le monde qui l’entoure et le hante ». Au contraire, Giorgio Manganelli pose la question de la littérature comme mensonge et artifice ; il s’agit d’un jeu de travestissement continu, de masques superposés; mais ce déguisement infini, comme le souligne Mario Barenghi, permet aussi au sujet, de se dévoiler. La révélation ou dévoilement, explique Line Amselem, peut aussi se situer dans le domaine du mysticisme, comme le témoigne l’œuvre de Jean de la Croix et spécialement ses commentaires à son Cantique spirituel où il est question d’éclairer ou, au contraire, de laisser dans l’ombre le texte d'un point de vue théologique, linguistique et poétique.

La première séance de la deuxième journée a débuté par les réflexions d’Antonio Prete autour la signification et l’importance de la lumière nocturne vécue comme élément de révélation et dévoilement de l’intériorité du poète (comme par exemple chez Leopardi, la méditation sur la «ricordanza»), mais aussi sur le rapport entre la vision dans l’ombre et l’interrogation sur l’univers en tant qu’énigme. L’acte de dévoiler coïncide donc avec la recherche et la révélation de la réalité, réalité que parfois peut se montrer sous l’apparence de la mort. Cette dualité de la révélation permet de dévoiler une fois pour toute, mais aussi de dévoiler à l’infini. Ce dernier processus, en particulier, explique Matteo Palumbo, est à la base d’une possible lecture et interprétation de l’écriture de Italo Svevo dans La coscienza di Zeno : révéler équivaut alors à re-voir pour permettre de donner un sens au monde. Dé-voiler et re-voiler est aussi un acte propre à la peinture, comme le rappelle Pierre Civil, en particulier au XVI et XVII siècles où cet acte devient le moment inépuisable pour dire et révéler métaphoriquement la vie et la mort, la beauté du corps d’une femme ou une histoire perdue dans le temps. L’acte du dévoilement peut devenir l’outil nécessaire à la redécouverte et à la relecture d’un poète tel que Giovanni Pascoli dont la critique a toujours perçu un «mystère» dans le rapport entre sa vie et sa création poétique. L’œuvre de Cesare Garboli, explique Angela Borghesi, fournit ainsi les instruments pour un nouveau dévoilement et découvrement du poète à travers la reconstruction de son itinéraire biographique mais surtout de ses études dantesques que Pascoli a disséminé d’énigmes et révélations.

La dernière séance s’est ouverte sur l’analyse avancée par Jean-Charles Vegliante de certains « moments de voyance mentale » (la « couverture » qui déclenche l’acte ou le choc où se découvre une vérité instantanée) « susceptibles d’une visée épistémologique, de Dante jusqu’à Pascoli et Raboni, en partant d’analyses textuelles précises » comme celle de l’Anagramma de G. Raboni. Encore, souligne Yannick Gouchan, l’acte du découvrement dans les poèmes de Paolo Maccari est lié étroitement au problème du sens. En fait, l’analyse des implications du paratexte et de la forme poétique, ainsi que les variations des choix lexicaux, montrent que ce qui semble être le récit pourrait représenter une réflexion sur le "je" lyrique. Le découvrement peut aussi se transformer, d’après l’analyse de Evanghélia Stead, en instrument pour une réflexion sur la langue et montrer, comme l’a fait la poétesse américaine Debora Greger dans The English Tongue, par le biais d’images crues et d’un langage « pleuré » mais aussi « sacré », le rapport à une langue maternelle lointaine révélée ainsi dans sa fragilité. Enfin, le découvrement dans l’oeuvre de Giacomo Leopardi se présente comme un moment privilégié de connaissance qui permet au sujet de se trouver confronté à sa propre origine, à son état originel. Influencé par les théories de Rousseau, Leopardi crée un lien entre visage, voile et mort. Dans son oeuvre, rappelle Tommaso Tarani, souvent cette triade prend les traits d’une femme.

............ Un grand nombre d’auditeurs ont suivi avec vif intérêt les diverses communications comme les débats qui ont eu lieu à la fin de chaque séance en ont témoigné, enrichissant les réflexions de chaque communication. Le colloque a ainsi présenté un panorama complexe et varié de problématiques et d’interprétations liées à l’acte du dévoilement/découvrement : moment de révélation positive (vision de la vérité) ou définitif (vision de la mort) ; moment de dialogue et de confrontation entre celui qui voit et celui qui est vu ; outil herméneutique ; jeu de déguisement, jeu de masques, jeu de renvois infinis.

 

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